Nao retire ses écouteurs. Nao sait pourtant que c'est une erreur ; il a bien conscience que Kazu va lui maltraiter les oreilles à grands coups de musique décomplexée. Mais par gentillesse, ou encore par naïveté, Nao reste toute ouïe. Car c'est ça, l'amitié : c'est savoir passer outre les défauts des gens qu'on apprécie. En soi, l'Arbiter n'est pas une cause perdue. Les deux japonais ont l'avantage de se retrouver sur le terrain de la pop culture japonaise, et si la qualité, elle, n'est pas toujours au rendez-vous, c'est déjà ça de gagné pour la cohabitation. Mais ce que son ami veut lui présenter aujourd'hui, ce n'est certainement pas le dernier album de Kyary Pamyu Pamyu : pas possible, car il a vérifié, et il n'est pas encore sorti. Non, c'est plutôt quelque chose de sombre et insidieux. La musique se met en marche, et dès les premières secondes, les paroles lui arrachent une grimace. 

— Mais...

Stop. Il se retient d'en placer une. La moindre des choses, c'est d'écouter jusqu'à la fin. En vérité, le refrain a quelque chose de fascinant, un peu comme une parodie involontaire de quelque chose qui ne se prend déjà pas au sérieux à l'origine. Le garçon s'enfonce dans son siège, il a l'impression que son âme s'échappe au fur et à mesure que la musique avance. Le pire, c'est qu'il ne comprend pas tout : son niveau d'anglais américain n'est pas assez bon pour ça. La mélodie se termine finalement sur un «ooh», et Nao pousse un soupir de soulagement malgré lui.

— C'était... sympa. Par contre, si c'est notre hymne, on risque plus de faire marrer les gens qu'autre chose. D'où est-ce que ça t'est venu  ? Je pense que je serais incapable d'écrire une chanson en entier, moi. Et puis... j'aurais du mal à relire mes notes, de toute façon.

Il sourit, même s'il n'a aucune idée d'où se trouve Kazu sur le moment.

— Et tu sais qu'ils vont vraiment finir par croire qu'on est frères si tu continues d'utiliser ce surnom ? La preuve : j'ai dû réparer un écran dans le quartier, il y a deux jours, et le propriétaire m'a appelé Komori Junior. Je préfère Echo, quand même... Je suis sûr que c'est de ta faute !