Hawke regarda sa montre, étouffant un bâillement alors que le petit écran digital indiquait trois heures du matin dans un halo bleuté. Le regard foncé du jeune homme circula dans l’étendue de la boîte de nuit qui l’employait, L’Éclipse.  Les derniers clients venaient de partir, certains encouragés par Hawke, que ce soit d’un simple regard ou d’une amicale main sur l’épaule.

Il existait une sorte de catharsis quand un club fermait pour la nuit, alors qu’un calme mystérieux planait même si la musique jouait toujours, à bas volume. La barmaid nettoyait ses verres alors que les serveurs allaient compter leurs revenus à l’une des tables.

Même s’il était un peu fatigué, Hawke n’était pas nécessairement empressé de retourner chez lui. Ce n’est pas comme si son emploi du temps était si occupé. Certes, c’était un peu différent depuis qu’il avait décidé de prendre une position plus… Agressive sur la situation publique.  Mais ça, c’était une autre histoire.

Théo, un autre videur, s’approcha de lui tout en retirant l’oreillette qu’il portait. Ils étaient habituellement au moins trois en service à chaque soir, parfois davantage lorsque le club faisait des évènements spéciaux.

« On s’en tire bien. Personne a encore vomi sur le dancefloor. »

Hawke eut un simple sourire.

« Pas encore, du moins. Tu te portes volontaire ? T’as l’air patraque. »

Son partenaire éclata de rire.

« Parlant de plaisirs digestifs, t’es toujours OK pour une pizza ? Je meurs de faim. »

Hawke, qui avait pratiquement oublié la proposition de Théo à ce sujet plus tôt dans la soirée, haussa les épaules.

« Il y a des pizzerias qui livrent à cette heure ? »

Théo haussa les épaules en sortant son cellulaire de sa poche.

« J’ai commandé chez… Pizzafast ? Ça dit livraison en tout temps. Ça devrait arriver très bientôt d’ailleurs, d’après la notice. Donc il y a quelque part un gars qui a rien de mieux à faire que cuire des pizzas en plein milieu de la nuit. »
« Et quelqu’un qui doit les livrer, je suppose. Après, on n’est pas vraiment mieux, non ? »

Ils éclatèrent de rire, mais le téléphone de Théo sonna.

« Hé, c’est ma copine, elle pète probablement encore une syncope, tu veux bien rester à la porte pour attendre le livreur ? »
« C’est un peu mon boulot, surveiller la porte, de toute façon. »

Théo s’éloigna avec un pouce levé et Hawke secoua de la tête en s’appuyant contre le petit piédestal à l’entrée, là où les serveuses menaient les clients qui venaient pour manger. Il soupira en laissant son regard circuler à nouveau. Comme boulot, on pouvait faire pire. On était loin des marches forcées  et des patrouilles quand il était encore militaire. Hawke ne regrettait pas cette vie-là. Un gars comme Théo nageait dans un endroit comme celui-ci comme si il y était né. Peut-être conçu en tout cas. Hawke eut un petit rire pour lui-même à cette pensée.

Un mouvement attira son attention et il reporta son attention sur la porte pour voir que quelqu’un était arrivé, et vu l’uniforme, assez facile de comprendre ses intentions. Hawke ouvrit la porte.

« Salut. Ouais, t’es au bon endroit. Hum… »

Hawke réalisa que Théo lui avait pas laissé d’argent pour payer. Lui-même ne gardait pas d’argent sur lui en général lorsqu’il travaillait, c’était trop facile de se faire détrousser par un pickpocket quand la soirée battait son plein.

« Euh, ouais, tu sais quoi ? Entre, mon portefeuille est au comptoir. T’inquiète si t’as pas l’âge, on est fermé de toute manière. »

Elle avait l’air effectivement plutôt jeune, même s’il n’était lui-même guère plus âgé. Le tracksuit qu’elle portait ne la mettait pas en avantage, mais avec les cheveux et les yeux bruns, ça lui donnait un certain charme, peut-être.

Hawke sortit son portefeuille du tiroir verrouillé derrière le comptoir, puis commença à sortir les billets…

« Hum, je suppose que t’es censée remettre ça à l’acheteur, hein ? Il est allé faire un appel, mais il devrait être de retour bientôt… Combien ça fait ? »

« 15 dollars ? C’est pas si mal. »

Enfin, Hawke ne savait pas trop ce que Théo avait commandé, non plus. Vu la taille de la boîte, au dirait une grande pizza. Parlant de l’autre videur, il n’est toujours pas de retour, ce qui est légèrement agaçant pour l’ancien militaire. Il avait bien remarqué la tête que la livreuse avait faite quand il avait manifestement sous-estimé son âge. Encore heureux, c’était mieux de ressembler à une ado qu’une vieille mémé dans son opinion, mais bon. Elle avait l’air plutôt malicieuse, la fille, à bien y penser.

« Hé, il y en a que ça terrorise, l’idée d’être dans un endroit in-ter-dit. Puis parfois, tu fais que le mentionner et les under-age décampent par eux-mêmes, tu vois ? »

Il fit un calcul mental des taxes et du pourboire – Hawke n’était pas le plus étincelant des intellectuels – et sortit un billet de 20$ et un autre de 5$, qu’il tendit à la femme.

« Voilà. Pour l’attente et les inconvénients. Désolé. »

Son téléphone vibra et en bon individu de son ère, il le sortit prestement pour lire les quelques lignes lumineuses. Bordel, Théo venait de lui poser un lapin au dirait. Sa copine était en colère et il s’était esquivé pour retourner chez lui au plus vite, laissant conséquemment Hawke seul avec une pizza qu’il n’avait ni planifiée, ni commandée, ni même désirée. Le gars à la cicatrice se gratta la tête. Il n’allait pas se promener dans le métro avec cette boîte géante dans la main comme s’il faisait une pub pour… Pour Pizzafast, justement. Et de toute manière, elle serait froide avant qu’il arrive chez lui. C’était un plan de merde.

Hawke soupira en désignant son téléphone.

« Le gars qui l’avait commandé s’est hum… Il s’est esquivé. Du coup… »

Son regard flotta sur la boite géante.

« Et c’est clairement trop de pizza pour moi. Du coup, je sais pas si t’es encore en service ou je sais pas… »

Il haussa légèrement des épaules. C’était pas la demande la plus stupide qu’il ait jamais fait. Pas comme la fois où il avait demandé à un gamin de tenir un grenade dégoupillée par accident pendant qu’il se faisait canarder par des talibans dans une ruelle poussiéreuse de Kandahar. Mais étrangement, presque aussi angoissant.

« Mais bon, si tu veux partager avec moi, il y a pire manière de passer son 3h du mat le samedi soir que de manger de la pizza, non ? »

Sans se faire attendre, il s’assied sur un des tabourets du comptoir du bar en ouvrant la boite.

« Faire l’assurance-qualité, tout ça. »

Il eut un petit rire en se penchant par-dessus le comptoir pour attraper des assiettes, son t-shirt remontant légèrement pour exposer bien davantage de cicatrices un peu partout sur sa peau. Hawke tendit l’assiette à la femme.

« Alors, t’en dis quoi ? »