- RASSEMBLEMENT !

Dans le bâtiment de la Troisième, les bruits de foulée firent trembler les murs. Au pas de course, les soldats dévalèrent les escaliers et avalèrent le couloir d’une traite. Un flot continu s’échappa des portes du bâtiment comme d’une citerne d’eau percée. Comme s’ils étaient animés par une seule âme et respiraient avec les mêmes poumons, ils s’alignèrent les uns à côtés des autres, les uns devant les autres. Des valets sur un plateau d’échec. Dans la fraîcheur matinale, une sorte de fumée s’échappait de leur souffle et de leur corps, ainsi qu’un dragon divisé plus de cent fois.

La Troisième. Compagnie d’une centaine d'hommes dirigés par une seule tête pensante. Une tête dont la moustache finement taillée faisait toute la notoriété.

Les hommes attendirent. Au fil de l’eau, les cadres commencèrent à faire leur apparition, se rangeant à leurs places respectives, vérifiant que personne ne manquait à l’appel. Plusieurs minutes passèrent, laissant les corps se faire mordre par le froid. Dans le regard de ces combattants en uniforme, on pouvait lire une forme de rusticité qui hurlait la mort à offrir.

Le capitaine fit son apparition. Son regard assuré dardant ses hommes, vitrail de glace insondable dans lequel chaque homme, en y regardant bien, pouvait y voir son propre reflet comme dans un miroir. Von Blücher était son nom. Il commandait d’une main de fer la troisième compagnie de la Millenium Army.

- Garde-à-vous ! cria l’adjudant d’unité.

Dans un seul bruit de claquement, la compagnie toute entière se figea. Rien ne semblait pouvoir déséquilibrer l’uniformité de cette assemblée.

L’adjudant se retourna et présenta les hommes à celui qui les commandait, rendant l’appel pour attester que le nombre d’absents se comptait sur les doigts d’une main. Les deux olibrius ne s’appréciaient guère, et pourtant, ils se saluèrent. L’adjudant d’unité quitta son emplacement et offrit la scène à celui qui était venu pour l’avoir.

- Repos, ordonna-t-il calmement.

Les hommes se replacèrent en position d’attente, les mains dans le dos, fixant celui qui incarnait la hiérarchie. Cette légende à 5 “opex”, ce virtuose de la guerre, cet ancien du terrain qui avait démarré, comme eux, dans le rang. Craint, August était aussi respecté que ce qu’il respectait l’engagement de ses propres hommes. Ces derniers le savaient juste et bon, souvent drôle. Avec le temps, le chef avait réussi à les façonner à son image, et à gagner leur confiance.

- Bonjour à tous.
- BONJOUR CAPITAINE !
- J’espère que votre week-end s’est bien passé. Aux dernières nouvelles, j’ai entendu dire que Petterson était sorti de son pucelage…

Des rires secouèrent le sérieux des hommes, qui savaient tous que Petterson, lors d’une sortie en discothèque, avait tout fait pour sortir de sa réputation de “puceau”, devant eux, afin de leur prouver qu’il était capable de conquérir une femme.

- … je te souhaite la bienvenue dans le monde des hommes. J'ai entendu dire que avais l'esprit de sacrifice. Bravo pour ton courage !

Eclat de rires. La femme en question avait la réputation d'être très, très laide, et plutôt “facile”. Elle portait un nom que tout le monde connaissait pour une bonne raison : chaque week-end, un militaire tombait dans ses bras. August, dont les lèvres s’étaient fendues d’un sourire à moitié déguisé par sa moustache flambante, autorisa ses hommes à s’amuser un peu de la nouvelle, et lancer quelques piques à Petterson. Des propos très gras, pas très respectueux ni pour Petterson ni pour sa conquête, et un humour de beauf partagé. L'armée, en somme.

- Trêve de plaisanterie. Voici les ordres pour cette semaine pour chaque section. La une et la deux, vous partez pour une semaine de terrain. Rappels sur les actes élémentaires du militaire au combat. La trois et la cinq, vous serez en patrouille et d'alerte sur la cité. Vos cadres reviendront vers vous pour les points de vigilance. La quatre, vous êtes au régiment. Vos instructions seront données par votre chef de section. Bonne semaine à tous, et bonne mission. Troisième compagnie...

Le capitaine laissa planer un petit moment de silence, joignant ses pieds et jetant un dernier regard à ses hommes.

- ... garde-à-vous !

Les hommes se figèrent ensembles.

- A disposition des chefs de section.

Il salua la compagnie, puis tourna les talons, repartant vers son bureau. Il avait encore beaucoup, beaucoup de pain sur planche.