La ville de Millenium City a toujours été une ville lumineuse et éblouissante pour Nicole qui se promenait sur un toit pour admirer la vue. C'est pour ça qu'elle vient toujours dans ce bâtiment une fois le service fini, dans ce café en hauteur, pour prendre de quoi boire et se réveiller après cette journée de travail. Cela lui rappelait aussi quand elle travaillait dans le privé, en tant que garde du corps, c'était le type d'endroit où les clients donnaient rendez-vous, à croire que son amour de cette vision étendue de la ville étaient rependue. Son regard un peu rêveur détaille les immenses gratte-ciels qui s’illuminent au fur et à mesure que la soirée s'assombrie, et elle reste là, songeuse alors qu'elle se demandait quoi faire désormais, peut-être rentrer chez elle retrouver son chat en train de dormir sur la table ou sur n'importe quel meuble, un chat bien élevé qui doit encore avoir sa gamelle vide. Elle se demande d'ailleurs ce que devenait l'assistante qui la suivait lors de son travail, lui transférant toute les demandes à son égard lorsqu'elle passe devant le métro du Centre-Ville.

Enfin, son attention est vite reporter sur le présent, le client venait lui servir son thé alors qu'il lui disait qu'un homme à la musculature développée semblait vouloir venir la voir. Tout de suite, elle pensait à ce cher Miller, un mercenaire qui a vite rejoint l'armée lorsque les héros sont à la mode, un homme grand qui n'a jamais su supporter une calvitie qu'il tentait de cacher sous une de ses perruques qui semblaient réalistes. Maintenant qu'on lui a rasé le crâne pour lui faire un crâne aussi brillant qu'une boule de bowling, il ne devait plus vraiment se plaindre maintenant. Enfin, il est vrai que ses affaires empiétaient toujours sur les siennes, ils leur arrivaient de se fritter un peu, enfin, "un peu", c'était des bagarres qui ressemblaient à une véritable tornade une fois calmée. Mais depuis, ils s'entendent bien - bien qu'ils se sont toujours bien entendus -, maintenant que "le vieux temps" n'existe plus trop pour laissé place à des bonhommes en tenues moulantes faire leur travail.

Cependant, ce n'était pas ce genre de tas de muscles qu'elle s'attendait, c'était à vrai dire une personne dont Muller lui avait beaucoup parlé, un certain August, un des capitaines de l'armée, rien que ça. Le monsieur a bien plus de galon qu'elle actuellement, bien qu'elle n'a jamais fait la course au gallon, après tout, en tant que garde du corps, elle n'avait pas vraiment de grade.

- Bien le bonjour monsieur Blücher, que me vaut votre venu ?

C'était une question presque rhétorique vu qu'elle soupçonne ce cher Muller de l'avoir bassiner à son sujet, vu qu'il était dans la même division que ce cher bonhomme à la moustache aussi luisante que ses muscles sont turgescents.

La porte était déjà ouverte quand il arriva à la maison de thé. Ses couleurs pâles lui donnaient de la douceur animée par quelques couleurs chaudes que la tenancière avait dispersé ça et là dans l’enceinte pour y mettre un peu de vie. D’une propreté irréprochable, la maison inspirait l’image d’une grand-mère avec une valise de bonbons qu’on croisait au milieu de l’école : en dépit de son ancienneté, elle était alléchante. On avait envie d’aller la voir et de goûter à ce qu’elle proposait. On savait, par ailleurs, qu’elle serait très tendre. Elle éveillait une sorte de nostalgie maternelle.

C’était un peu ça, la définition de l’exquis dans la sobriété, se confia le capitaine en secret. La maison de thé lui semblait modestement raffinée, calibrée pour plaire sans dégouliner de snobisme, évitant de tomber dans le cliché de bon genre, voire dans une pompeuse outrecuidance bourgeoise. Il valait mieux être chic par son âme que par la valeur de son mobilier. Ce décors était, somme toute, en parfaite osmose avec ce qu’il avait de plus cher : sa célèbre moustache. Naturelle, et pourtant si charmante.

Le gentleman avait troqué le costume militaire contre une chemise blanc crème parfaitement lisse, dont il avait retroussé les manches, et un pantalon de costume noir parfaitement marié aux chaussures de ville noires également qui gardaient ses pieds au chaud. Ses muscles saillaient d’une telle façon que les boutons de sa chemise semblaient prêts à exploser, torturés par de puissants pectoraux. Il n’y faisait guère attention pourtant. Tout cela était fort naturel pour ce colosse de la Millenium Army.

Quand il entra, les regards s’arrêtèrent sur son physique hors-norme et son apparence pour le moins originale. Sa présence était magnétique. Titan naufragé sur la planète Terre. Quiconque l’étudiait du regard devinait que c’était un homme de poigne, un leader naturel. Nul besoin de se répandre ou de trop en faire. Il suffisait d’un regard.

Et c’est d’un regard qu’il remarqua justement Nicole. Plantant ses rétine azurées et glaciales dans l’orbite intéressée de son rendez-vous, il sut que c’était à elle qu’il devait dédier ce temps perdu.

Oui, ce temps perdu. Tout cela à cause du jeune Miller. Après son incorporation, Miller avait d’une façon qui pouvait plaire ou déplaire attiré beaucoup de regards sur lui. Il se démarquait des autres parfois pour des choses bonnes, parfois moins. Peu ou proue, il contribuait tout du moins à faire avancer la barque.

Lorsque le Capitaine avait annoncé qu’il cherchait à renforcer les liens avec la police, Miller lui avait programmé une entrevue. Peu de soldats osaient conseiller leurs supérieurs. Celui-là l’avait fait. Si d’aventures August aurait pu le congédier et le punir sur place, il préféra, curieux, de voir où le mènerait cette petite aventure.

* * *

- Enchanté madame Desroches.

En s’asseyant, c’est comme s’il avait envahi toute la table avec son imposante carrure. Tel un ours dans un trou de renard.

- Puisque vous semblez vouloir aller directement au bout des choses, alors je vais être bref : mon objectif est de faire la chasse aux vilains, et de pacifier la banlieue sud.

Il attendît un peu, le temps que la policière s’imprègne du message.

- Mais l’armée n’a pas accès aux données de la police. Vous voyez sans doute où je veux en venir...

L'homme s'installe, s'il comptait ne pas se faire remarquer, c'était plutôt raté : il était si grand et musclés que ses bras pouvaient frotter les murs, ce qui fait que beaucoup de personnes doivent faire un détour dès qu'il passe dans un couloir, bloquant totalement les personnes voulant marcher sur ses pas ou lui faire face. Et cela se voyait encore lorsqu'il s'assied à table, à lui seul toutes les places qui restaient, heureusement qu'elle n'avait pas prévu de rendez-vous avec une autre personne. Cela lui faisait lâcher un petit sourire en le voyant prendre à lui tout seul la place de trois personnes, c'était assez proche de ces rares tentatives où Muller a essayé de lui parler, lui aussi était aussi musclé, donc forcément, cela faisait toujours son effet. Enfin, au moins, elle n'était pas intimidée, après tout, elle en a croisé des plus balaises que lui, ils étaient rares, mais elle en a vu, et elle en a surtout maîtrise, c'est qu'on ne dirait pas avec sa carrure, mais elle est plutôt forte.

Enfin, elle sirote son thé alors qu'il lui annonce qu'il voulait pacifier la banlieue sud, une mission ... plutôt difficile. Elle connaît la banlieue sud ... enfin, elle n'y fait pas souvent des rondes, mais elle en sait assez pour qu'elle sache que c'est dangereux pour la police d'envoyé ne serait-ce qu'un seul policier sur place, non pas à cause des vilains, mais à cause du Cryptogang, la banlieue sud, c'est leur terrain de jeux, à peine on met un pied là-bas qu'ils seraient capable de tout savoir sur eux. Enfin, il disait que l'armée n'a pas accès aux infos de la police, c'est bien vrai, cependant, cela voulait dire pleins de choses.

- Vous voulez qu'on s'allie pour s'occuper de la banlieue sud une bonne foi pour tous ?

C'était assez inattendu de sa part, lui, l'homme qui méprisait un peu la police, disant aux policiers de plutôt venir faire un vrai métier dans l'armée, vouloir faire une alliance avec eux, c'était très étonnant. Enfin, malheureusement, ce n'est pas d'une force de frappe dont ils ont besoins, mais plus d'un moyen de crypté leur données, et elle ignore si sa division est capable d'une telle chose.

- Malheureusement, à cause du Cryptogang, c'est difficile de pouvoir se rendre sur place sans que ce soit néfaste pour nous. S'il n'y avait que les vilains, on aurait repris une bonne partie de la banlieue sud, mais on ne peut pas faire une ronde là-bas sans risquer de mettre les données de la police en danger.

Elle pose ensuite sa tasse, puis observe un peu Millenium City commençant à s'allumer, à s'illuminer.

- Hormis s'il y a des hackeurs très confirmés dans votre division, je crains que notre partenariat se dirige tout droit vers un mur.

Nicole sembla derechef exprimer une certaine retenue vis-à-vis de l’entreprise d’August. En réalité, à vouloir aller droit au but, peut-être l’avait-il un peu trop pris au dépourvu. Elle étala sur la table l’argument du cryptogang qui, s’il n’était négligeable, n’était pas considéré comme l’obstacle principal aux yeux du militaire.

Non. Lui avait le fougueux désir de partir en chasse, et de nettoyer la banlieue sud à grands renforts de bras musclés pour mettre en laisse tous les criminels qui s’amusaient à croire que ce territoire resterait une zone de non-droit. Il détestait la banlieue sud. Chaque fois qu’il y mettait les pieds, il ne pouvait s’empêcher de penser que cet endroit était l’école du recel et de la vilénie. Si un jour ses enfants étaient victimes d’un acte délictuel… il ne pouvait s’empêcher de penser que cela serait lié, de près ou de loin, à cette zone abandonnée. Et d’une certaine façon, si ses cauchemars prenaient vie et lui enlevaient l’un de ses trois diamants de sainteté, il se mettrait lui-même sur le banc des accusés.

Il ne pouvait laisser une telle chose arriver. Il avait décidé de prendre les choses en main. Sans doute que le contact partagé entre Nicole et lui l’avait saisi et avait profité de l’opportunité pour s’attirer ses faveurs. Pour autant, il lui fallait encore la convaincre. Un pas avait été fait. Mais son épreuve était un marathon.

Il joignît ses mains en croisant ses doigts, comme pour se donner un air plus studieux. En rassemblant ses mains, c’est comme s’il avait rassemblé ses propres idées : dans ce langage non verbal, il montrait toute la solidité de son raisonnement.

- Je ne possède malheureusement pas de personnel de cette trempe. Les seuls hackeurs que nous pouvons nous targuer d’avoir sont des spécialistes de la “guerre électronique”, mais ils constituent une unité à part. Ils ne sont pas implantés dans les compagnies de combat.

Il expliquait cela avec un naturel déconcertant. Il ne faisait pas bon partager les informations de l’armée. Pour autant, il espérait que cela décoincerait son interlocutrice.

- Mais la police elle-même dispose d’une solide base de données. Bien plus volumineuse que celle de l’armée.

Elle ne pouvait le nier. L’armée n’avait pas pour habitude de faire des enquêtes, ni de prendre en traque des tueurs en série. Elle attendait le flagrant délit, contrairement aux policiers qui eux se mettaient en piste des criminels. Et pouvaient sans doute révéler certaines choses, que ce soit sur le cryptogang, mais aussi d’autres organisatons dont ils connaissaient potentiellement certains acteurs.

- A partir de cette base de donnée policière, je suis convaincu que nous pourrions mener un travail d’investigation en associant nos forces pour arrêter certains acteurs délictuels, et en les interrogeant pour leur faire sortir les vers du nez. Ce que je vous demande, madame Desroches…

Il plongea son regard glacial dans les yeux de Nicole.

- … c’est une transparence totale entre les données de l’armée, et celles de la police, juste entre nous deux.

Un contrat aussi alléchant que dangereux. Dans un cas comme dans l’autre, ces fameuses données étaient protégées, souvent classées confidentielles. L’armée comme la police se plaisait à défendre son bout de territoire et les deux structures gardaient jalousement leurs secrets pour elles-mêmes, de peur que l’une empiète sur l’autre. Tel deux charognards se disputant la carcasse. Pour l’un comme pour l’autre…

… il fallait accepter de dépendre de l’autre.

Le militaire lui annonce qu'il ne dispose pas de hackeurs sous les bras, et qu'ils ne sont donc pas dans les unités de combat, dans ce cas où sont-ils ? S'il veut un partenariat, elle demande au moins un minimum de prévention ... enfin, un "minimum", on parle quand même de la base de données de la Police, si un membre du Cryptogang y avait accès, il pourrait y faire ce qu'ils souhaitent, de changer les noms à en rajouter d'autres, et donc fausser totalement cette base de données que la Police essaie d'avoir fiable. Enfin, il lui avoue que la base de donnée de la police est bien plus solide que celle de l'armée, normale, l'armée se contente d'agir, là où la police essaie de comprendre, enquête, cherche, puis agit. La police recueille donc bien plus d'infos que l'armée qui, elle, se contente d'aller à l'essentiel. Les deux stratégies ont des points forts et des faiblesses, il en va de soit, parfois une approche plus brutale est mieux qu'une approche plus sûre, et parfois, c'est l'inverse.

Donc, ce que cet homme souhaite, c'est que Nicole soit un contact de l'armée dans la police, qu'elle leur offre des informations pour qu'ils puissent enquêter sur place avec leur propre force. Elle se met à réfléchir, alors que l'homme la toise d'un regard froid qui n'a pas l'effet qu'il pense escompter, à vrai dire, c'est surtout car, à ce moment là, le serveur demande si le sieur moustachu ne veut pas commander quelque chose. Nicole, elle, sirote son breuvage tranquillement, prenant le temps du coup d'y réfléchir pendant que le militaire passe commande ou non, voire leur demande un peu d'intimité. Puis, une fois le serveur parti, elle pose sa tasse après avoir mûrement réfléchit.

- Je comprend ce que vous voulez que je fasse. Vous voulez que je devienne votre contact au sein de la police.

Elle réfléchissait encore, essayant de savoir ce que ça risque de lui coûter, mais elle pensa surtout aux côtés positives d'une telle alliance. En effet, si elle donne certains données de la police à l'armée, cela leur permettra de pouvoir investiguer sur place sans directement craindre pour la base de donnée, vu qu'ils ne pourront pas remonter jusqu'à celle-ci. C'est donc une idée très intéressante à vrai dire ...

- Cela est intéressant, je visualise déjà ce que ça peut donner. Cependant, j'aimerais vous demandez quelque chose en retour. Ne voyez pas ça comme une condition, juste une demande à part.

Elle voulait savoir s'il est réceptif aux demandes, car un partenariat doit se faire aussi des deux côtés, et elle sait déjà ce qu'elle pourrait lui demander ...