Traître. Les mots résonnaient difficilement dans la bouche du Reflet, tant et si bien qu'il avait l'impression de pouvoir les cracher rien qu'en les prononçant. Oui, c’était cela.
Traître. Le matin même du rendez-vous, une terrible nouvelle était tombée dans la Famille-mère. L’héritier du parrain avait commis une erreur impardonnable, une erreur qui, aujourd’hui, amènait les nouvelles recrues à prouver leur importance dans la Famiglia et ses affaires controversées. Face à cette annonce, Isaac avait dégluti. Non pas pour lui, car c'était là une grande fierté de laver l'honneur de ceux qui avaient donné une chance à un orphelin pourvu d'un Alter comme le sien, mais son inquiétude était tournée vers sa petite sœur, si sûre d'elle et tout à la fois, si vulnérable quand les événements touchaient son orgueil...
Gierna n'était même pas majeure, et cela le gênait. A tue-tête, les minutes s'écoulaient. Et, sans même sans rendre compte, l'Ainé était arrivé juste au pied d’une étrange porte d’un ascenseur...
"D'ici peu, vous serez chargé de tuer Giovanni Castelo.", lui avait-on annoncé sans aucun tact le frère du concerné, Vicente Castelo.
Isaac y réfléchit encore, longuement, sceptique. Devant la vitre accolée à un mur, salie par la buée condensée dans un parking privé à la fois charmant et presque inquiétant, son regard continuait d'observer ces cheveux clairs, mieux coiffés qu'à son habitude. L’homme à ses côtés était cruellement silencieux, mais Glass Master l’était tout autant. Dans ce costard noir qu'il ne portait pas souvent, il se faisait une raison pour expliquer cette appréhension qui guidait ses premières résolutions. Trop de choses se bousculaient dans son esprit et, quand ses pensées s'attardaient sur l'assassinat qu'il aurait à échafauder avec Gierna, le cœur n'y était pas. Il devenait un autre homme... Un homme qui recomposa sa façade derechef au premier couinement métallique. Quand la porte s’ouvrit enfin devant lui, le dernier intermédiaire lui signifia de monter avant de lui adresser ses dernières explications. Sa langue fourcha entre plusieurs explications, mentionnant alors l'existence de cette porte pour joindre le bureau d'un loyal actionnaire de la Compagnie 'Pure Cosmetics", alors enfermé dans sa tour d'ivoire.
"Un solitaire... Ce n'était peut-être pas plus mal."
Aussitôt, la porte se referma et un tremblement secoua doucement l'ascenseur, dont le moteur sembla ronronner peut-être quelques minutes. Ou moins. Il ne savait plus véritablement. Quand la cabine cessa de monter et se stabiliser, Isaac rajusta sa cravate machinalement. Il était enfin arrivé, et la porte que l'intermédiaire venait de pousser l'amena immédiatement dans un bureau qui sentait l'innovation et qui reflétait le goût du luxe. Il avança alors, mettant de côté tout élan de timidité.
"Bonjour, monsieur.", salua-t-il avec respect, ouvertement guilleret. Curieux, l’Altéré observa un instant la sombre forme de son interlocuteur. A voir ainsi sa peau noire et son costard taillé sur mesure, Isaac songea qu'il s'agissait probablement d'une tierce personne. "Je suppose que vous représentez M. Belmont, n'est-ce pas? Je m'appelle Isaac Castelo, enchanté. Vous excuserez mon oncle, il est souffrant actuellement. Et, étant probablement la personne la mieux placée actuellement pour discuter avec vous, je suis chargé de parler en son nom."
Les explications étaient désormais faites. Sans aucune forme d’animosité et un certain flegme que l’on attribuerait généralement aux entrepreneurs, Isaac hésita en silence entre le fauteuil et le canapé. Le premier choix avait le mérite de placer les deux hommes à égalité, tout en créant un rapport de force intéressant. Néanmoins, ce canapé sur mesure, fait d’un cuir noir et brillant, en appelait au confort, à une touchante forme d’excentricité qui ne recherchait pas particulièrement à négocier, mais plutôt à écouter les idées d’un « ami ». Assurément, on n’entrait pas dans un bureau pour ne pas assumer une forme de coopération, et ce membre de la famille Castelo n’était pas de ceux à se reposer sur de pieux mensonges. Alors, Isaac prit place sur le canapé que son hôte venait de désigner. Que cet intermédiaire en prenne note ou non ne tenait plus que de son sens de l’observation, car déjà, l’Aîné reprit la parole…
"Vous savez, je me suis beaucoup intéressé à votre entreprise, ces derniers temps. Un projet audacieux, que voilà..."
La nouveauté attirait toujours son œil, d’autant plus lorsqu’elle avait quelques impacts sur le cours du marché. Mais peut-être était-ce là le résultat d’une passion qu’il ne pouvait s’expliquer : car après tout, sans que son vis-à-vis ne le sache, lui aussi, faisait parti de ces un-dixièmes de personnes à s’être découvert un « don », « un talent » particulier pour ces neuf dernières années. Pensif, Isaac se montrait déjà être un invité attentif et curieux, dans l'optique, certainement, de sonder la température de cette réunion...
"Un produit pour les Altérés... Un geste ambitieux, quand on se place au niveau commun des mortels, mais il est vrai que le temps court ..."
Une entrave comme un bénéfice, songea-t-il en vérité. Il était clair que ce business ne visait qu’une seule tranche de consommateurs...Mais dans quel but ? Quelle idée avait donc germé dans l'esprit de son créateur quand il avait dressé et déposé ses marques pour protéger et faire naître son entreprise ?
"Vous savez, l'arrivée de Pure Cosmectics a permis à un grand nombre de traders de shorter tout un tas de start-ups minables ou d'entreprises poubelles. Mais ça, vous l'ignorez peut-être : on ne s'y intéresse pas, juridiquement parlant, même quand elles ont eu un grand nom par le passé. C'est si externe que ça n'inquiète personne et ce, jusqu'à ce que la bulle spéculative éclate...Mais il serait dommage de recréer un phénomène digne de 2007, après tout, non?"
Ô, des précautions ont été prises depuis. Mais là n’était pas le principal souci dans son discours. Isaac ne se montrait pas plus intimidé par l’altération de cet actionnaire que les raisons qui l’avaient poussé à les inviter, eux, les graines criminelles de Millénium. Indices sur indices, le faux n’avait pas de place dans les présentations. Son visage était détendu, ses gestes ne trahissaient pas de nervosités et son sourire resta parfaitement impeccable, comme si le Maître du verre était habitué à fréquenter ceux que la société aimait à la fois craindre et idolâtrer pour leurs différences. Hélas, cette transparence ne dura qu’un temps...
« Cesse donc, Isaac. Tu vois bien que tu vas l'importuner si tu commences à te perdre dans tes théories… »
Un instant, le jeune sembla rester bouche bée quand la petite boite qu’il tenait dans l’une de ses mallettes prit la parole. Sur le coin droit de sa surface noire, un petit voyant rouge était allumé et, si la machine n’enregistrait pas pour autant les conversations, elle faisait presque office de conseillère voire d'ange gardien pour son entrepreneur indépendant. Un Jiminy Cricket en effet, surveillant les gestes de son enfant-marionnette prodige… Interpellé, le mafieux adressa un sourire navré et blasé à l’égard de son vis-à-vis.
"Oui, veuillez me pardonner. Je suis juste très curieux de connaître vos prochaines actions, d’un point de vue macro-économique, tout du moins..."
Son doigt appuya avec précaution sur le bouton de sa petite technologie. Il venait d’éteindre « Cassandre ». Il lui avait déjà suffisamment posé de questions dans la journée.
"En tous les cas, posa-t-il, avant de joindre ses mains ensemble, lui adressant un regard toujours aussi neutre et sympathique. On lui disait souvent qu'il était difficile de lire dans ses pensées. "Je vous écoute. Que pouvons-nous pour vous ?"
Dans cette pièce, l'Obscur régnait. Mais si cet altéré absorbait la lumière, le mafioso aux cheveux immaculés ne s’en formalisa pourtant pas. C'était plus amusant que de manigancer le meurtre de son oncle. Il était à son écoute car pour l'heure, celui qu'on surnommait "Alpha" était un mystère pour Isaac.