- … tous les personnels présents dans l’arrondissement français sont donc priés de venir en renfort.
- Capitaine, c’est notre secteur. Dois-je nous y conduire ?
- Vas-y, fonce. Ca me donnera encore une bonne raison de dire que les flics ne savent pas faire leur boulot.

Les pneus crissèrent dans le virage, et le véhicule grilla le feu rouge pour foncer vers le point géolocalisé. Dans la bête à moteur, ils formaient un trio un peu spécial. Ils ne portaient à leur ceinturon que leur pistolet automatique, chose qu’ils avaient reçu en dotation personnelle, du fait qu’ils n’étaient pas prévus sur les itinéraires de patrouilles. Composé du commandant d’unité, de son adjoint et d’un soldat qui pilotait la voiture, les trois hommes avaient choisi de bifurquer de leur trajectoire initiale, qui devait les conduire jusque dans une zone de bivouac, là où s'entraînaient la section une et la section deux. Mais visiblement le crime n'avait que faire de leurs petits projets et la disparition de cet agent Roméo semblait être devenu la priorité.

Aucun d'eux ne portait de gilet pare-balle et pour ainsi dire, leurs uniformes n'étaient pas en règles avec les formalités. Puisqu'ils allaient sur le terrain, ils avaient troqué le treillis classique contre un accoutrement plus léger, toujours dans les tendances de la Défense, mais pas aussi strict que l'uniforme traditionnel.

Ils s'arrêtèrent à une cinquantaine de mètres de là où on leur avait demandé de se rendre. Extirpant sa masse épaisse à travers la porte du véhicule, le capitaine se présenta. Il tomba nez-à-nez avec un de ces fonctionnaires de la justice dont il remettait régulièrement en question les compétences, par plaisir de se sentir supérieur à ceux qui portaient l'uniforme bleu.

- Monsieur le Capitaine Von Blücher, commandant la troisième compagnie de la Millenium Army. Allons, vous n'avez plus d'inquiétude à avoir, je me charge de ce problème. Si vous voulez vous rendre utile...

Il tripota sa moustache en lançant à cette nouvelle rencontre un sourire patibulaire.

- ... allez donc me faire un café.

Provoquant et un tantinet mesquin, le gaillard annonça la couleur de sa personnalité chamailleuse au policier qui semblait se présenter comme son associé de circonstance. Impudent, August transpirait l'orgueil et l'excès de confiance, aussi, par amour du prestige, il décida de congédier ses hommes d'un mouvement de main qui voulait dire : vous n'avez pas besoin de bouger. Il figea son regard dans la rétine de Steve, comme pour y lire le fond de son caractère. S'il aimait aider la police, c'était bien parce qu'il pouvait taquiner du fonctionnaire. Steve, dans sa fonction, aurait-il la patience de supporter un tel affront ?

Ce n'était pourtant pas là l'épineuse question. A l'ombre de cette comédie se jouait le dénouement de la mission : si Roméo mourrait ou n'était pas libéré, la mission devenait un échec.

Important:

- Non.

Mentir était tout un art auquel August s’était volontier converti. Cette contrainte était inévitable pour un individu qui, du fait de sa fonction, s’était avili à l’exercice de la persuasion et de la manipulation, dans le but évidemment de prendre du galon et de grimper dans l’échelle hiérarchique en tricotant un certain jeu politique. Lui révéler qu’il était porteur d’un alter pouvait, à terme, hypothétiquement lui poser problème : la carte de l’alien n’était semble-t-il pas propice à son prestige, du moins pas pour l’heure, et pouvait renverser son assise dans le territoire des loups diplomatiques. Aussi bien situé qu’il était, il ne pouvait se permettre de tanguer. Nombreux étaient ses amis. Mais encore plus nombreux étaient ses ennemis.

Pour autant qu’il glissa ce mensonge stratégique comme un poison sur la tartine de Steve, il se laissa trahir par un sourire mesquin qui fendît ses lèvres et fit frémir sa moustache. D’un simple regard, c’est comme s’il disait à son coéquipier : je mens pour la bonne cause, veux-tu bien ne pas me croire ? Tout était finalement lisible sur le fine membrane qui distinguait le dire du paraître. Le policier avait toutes les bonnes raisons de comprendre, à cet instant, qu’il avait mis les pieds sur un plateau d’échec, sur lequel August prétendait être le roi.

- Mais n’ayez crainte, je suis très, très solide. Je n'ai pas besoin de ce genre d'atouts pour savoir me débrouiller ! Et surtout, je sais conduire comme un as. Je trouve votre idée plus qu’intéressante.

Oh oui. La seconde voiture, à laquelle il avait ordonné de se mettre en route calmement en contournant l’itinéraire principal, se mit en route. Les autres hommes de son unité avaient été assignés au QG de la police. Il ne restait plus qu’eux deux, seuls entre cinq portières. Sans mettre en garde son partenaire, il tourna la clef pour allumer le contact, puis accéléra sur place, le pied au plancher sur la pédale d’embrayage. Le moteur hurla comme s’il était torturé, mais le véhicule ne bougea pas. Il tourna la tête vers Steve et décocha un ultime sourire. La voiture traça tout droit, sans qu’il ne regarde la route, le regard toujours rivé son partenaire.

La voiture passa tout près d’une pancarte de stationnement qu’elle faillît percuter. En contre-braquant, il mordît la ligne blanche continue, puis il tenta de rééquilibrer la trajectoire en se remettant sur la route. Cette fois, il dût observer devant lui. Il vira d’un coup sec pour épouser la courbe du virage et brûla un feu rouge en faisant crisser les pneus. Il continua ainsi comme s’il était sur une aire de jeux. Le véhicule manqua par deux fois de se retourner et frôla plusieurs éléments, mais rien ne semblait impressionner son pilote complètement fou.

Il éclata d’un rire franc en poursuivant ainsi la mascarade en direction de la cathédrale de la résurrection, et posa la question de retour :

- Et vous, vous êtes un altéré ?! Hahahaha !

Son rire se perdît en échos dans la ville de Millenium City, comme un fantôme diabolique hantant les rues de l’arrondissement français...

HRP:

Spoiler:

Le véhicule s'arrêta à une centaine de mètres de la cathédrale de la résurrection. August, malgré toute son arrogance et ses certitudes, ne pouvait s'empêcher de penser que Steve lui cachait quelque chose. Malgré la révélation de son alter, le policier n'avait pas pipé mot ni au sujet de la conduite sportive de son associé, ni au sujet d'autre chose que la mission. Il ne réfléchissait qu'à leur aventure immédiate et c'est sans doute pour cette raison que le capitaine avait supposé que Steve, dans l'immensité de son sérieux, ne voulait pas aborder d'autre sujet.

Mais avant d'étudier ce compère de loi, le protagoniste herculéen aux mèches de feu prit le temps d'écouter chaque parole prononcée par le mystérieux pour y répondre avec courtoisie.

- Je n'ai pas de plan dans l'immédiat. Mais peut-être pourrions-nous prendre du renseignement. Il nous faut nous assurer que l'ennemi ne nous attende pas. Après tout, nous ne savons pas comment votre QG est parvenu à savoir que l'agent Roméo serait retenu ici. Sans doute ont-il observé quelque chose d'inhabituel, ou peut-être une taupe s'est-elle glissée chez nos adversaires... qui sait si ce n'est pas un piège ?

Fort de son expérience dans le désert où il avait poursuivi des terroristes lors d'opérations extérieures menées par les forces armées des Etats-Unis, le bonhomme ne savait que trop bien que la propension à s'imaginer être en situation d'avantage n'était qu'un leurre coupable d'orgueil, et pouvait conduire l'infortuné arrogant dans les méandres de la défaite et, dans ce genre de cas, de la mort. Il n'était pas dupe et, sous un certain angle, il était même sceptique. Quelque chose de l'ordre du sixième sens lui faisait dire que la mission ne serait pas si rose, surtout en l'absence de son unité.

- Il est possible que cette cathédrale soit le siège d'une activité illicite. Après tout, il n'existe pas de meilleur lieu pour cacher le vice que le sanctuaire de la foi et de la vertu. Si j'avais emprunté la voie du crime, j'aurais bien choisi ce genre d'établissement. Ou bien même des écoles. Enfin soit. Utilisons les forces dont nous disposons.

Ses yeux plongèrent sur Steve comme deux spectres enflammés. Pupilles de luxe flamboyantes, habités par le noyau de l'avarice et du désir, profanes iris avides de l'autre : le démon à l'intérieur du capitaine surgissait par un seul regard pour donner un avant-goût brûlant à Steve de toute l'excitation qui bouillonnait à l'intérieur d'August, en même temps que son esprit s'éclairait d'un plan fourbe et dangereux.

Sa voix se fit plus grosse.

- Puisque tu possèdes un alter de vitesse, pourquoi ne pas en profiter ? Je te propose de faire le tour de la cathédrale aussi vite que tes jambes te le permettent, sans te faire remarquer ! Je me posterais non loin de la porte principale pour te couvrir.

En disant ces mots, il tira sur le levier d'armement de son fusil d'assaut. Il était à présent chargé, prêt à faire feu. Entre ses gros bras, l'arme semblait toutefois être un jouet d'enfant.