C'était une journée qui avait l'air à priori tout à fait banale. Aujourd'hui était un des rares jours où j'étais sorti de chez moi dans l'unique but de me promener et de prendre un peu l'air. J'étais certes un flemmard invétéré, mais j'aimais sortir de temps en temps de mon repli pour pouvoir profiter de l'air frais du dehors, sans avoir l'impression d'être prisonnier de quatre murs. Je n'étais pas claustrophobe, mais j'appréciais toutefois un certain sentiment de liberté qu'un appartement, modeste qui plus est, ne parvenait pas à mimer. Je comptais me rendre au parc floral, dans le quartier français, ce qui me ferait passer par le centre-ville. Car j'habitais dans le quartier japonais, et bien que j'aimais ma culture, il m'arrivait souvent d'apprécier y échapper pour retrouver des consonances étrangères. Ecouteurs dans les oreilles, je me baladais tranquillement dans le centre-ville dans le but de le traverser, lorsque je perçus de l'agitation en face de moi.

Distraitement, je relevai la tête pour tenter de comprendre ce qui était en train de se passer, lorsque je vis un homme courir à toute jambe dans la direction opposée à la mienne. Il venait de sortir de l'épicerie. Je fronçai les sourcils, mais alors que je continuais à avancer, une petite vague de panique prit les gens qui se trouvaient devant l'épicerie. Ces derniers déguerpissaient au fur et à mesure, l'air effrayés, affolés, sans que je ne puisse en déduire la cause. Je laissai mon regard traîné vers l'épicerie, et il ne me fallut pas longtemps pour comprendre ce qui était en train de se passer. Un homme armé et cagoulé tenait en otage un second homme, recroquevillé sur le sol, qui semblait bien plus terrorisé que n'importe lequel des passants que j'avais pu croiser jusqu'à présent. Et je ne lui en voulais pas du tout. Pour m'être fait tirer dessus, j'étais au courant que ce n'était pas une expérience agréable de sentir la menace d'une arme sur soit. Devant l'épicerie, j'aperçus un autre homme qui était appuyé contre un taxi.

C'était un homme d'âge mûr sans être vieux pour autant, qui portait un kimono rose et des gants marrons. Etrange accoutrement pour un conducteur de taxi. Sans noter le fait qu'il était vraiment très musclé, et faisait bien une trentaine de centimètres de plus que moi. Un gros gabarit quoi. Ce qui était assez étrange, car ses traits étaient plutôt japonais. Les japonais étaient généralement plutôt petits -bien que toujours plus grands que moi en moyenne-, mais cela pouvait représenter une petite chance dans notre situation. J'entendis ce dernier énoncé les faits à voix-haute, et je sentis qu'il s'apprêtait à aller dans cette épicerie, et mon coeur accéléra. Cet homme était armé, et au moindre changement brusque de situation, il était fort probable que son otage en subisse les frais. Dans la précipitation, j'interpellai le chauffeur de taxi avec une mine joviale, et dans un japonais aussi parfait que mes origines.

-Hey salut ! Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu !

Grand coup de bluff. Il ne comprendrait certainement pas ce qui était en train de se passer. Mais il y avait de fortes chances pour que l'homme armé surveille ce qui se passait aux alentours de l'épicerie. S'il nous voyait foncer vers le magasin, ce serait certainement beaucoup trop suspect. Par ailleurs, en parlant de cela, je voyais les caméras bouger de manière assez rapides pour n'être que des caméras de surveillances. Mais je me trompais certainement. Je profitai de la surprise du grand homme musclé pour me rapprocher à grand pas de lui tout en enlevant mes écouteurs. Tout en gardant un air jovial, je continuai à m'exprimer en japonais. Ce n'était certainement pas nécessaire étant donné qu'il ne pouvait pas nous entendre, mais cela ne coûtait rien de rester prudent.

-Vaudrait peut-être mieux ne pas rentrer comme ça, il risque de tirer sur l'otage, ou sur vous. Sauf si vous êtes à l'épreuve des balles ? Vous êtes un héro ?

Le laissant répondre, je continuais à réfléchir à la situation. Il fallait en priorité mettre l'otage en sécurité. Mais comment faire ? Je n'avais aucun moyen d'atteindre ce dit otage. Sauf si j'en devenais un à mon tour. Mais cela risquait d'être un poil compliqué dans la situation présente. Toutefois sans risquer de me faire tirer dessus. Plein de scénarios étaient en train de se mettre en place dans ma tête, mais je gardais ce sourire de façade alors que j'écoutais la conversation que je partageais avec le jeune homme en kimono rose. Il était quasi-certain qu'attendre la police ne ferait que compliqué les choses. Si nous n'agissions pas vite, il n'y aurait certainement plus d'otage ni d'épicerie à sauver.

-Une idée ?

De prime à bord, le japonais en kimono rose m'avait prit pour un de ses clients mécontents, et il m'avait traité avec un égard distant si naturel que cela semblait être son habitude. Je souris à l'idée que je n'étais pas le premier client mécontent de ses services qu'il avait prit dans son taxi. Enfin, "premier" était beaucoup dire étant donné que je n'avais jamais usé de ses services, et au vu de sa réaction je ne comptais pas m'en servir de si tôt. Tout du moins si j'en avais l'occasion. Lorsque je lui demandai s'il était bien un héro comme je m'en doutais, il me répondit par l'affirmatif et me donna ce que je supposais être son nom de héro. Son nom me fit instantanément sourire, et je ne pus me retenir de hausser un sourcil. Il semblait assez excité, ce qui discordait un peu avec sa carrure, l'âge, et le sérieux que son visage dégageait. Cependant c'était bien le nom du héro qui me fit sourrie. Baka signifiait idiot en japonais, et qu'un japonais lui-même se soit fait appelé ainsi était assez étonnant.

-T'as un surnom assez surprenant, pour un japonais, Mr.Je-sers-la-justice.

Mais c'est avec sincérité que je lui rendis le sourire qu'il affichait. Et il rentra immédiatement dans le vif du sujet en me disant qu'il possédait un alter particulier. Je savais bien que cela pouvait être dangereux, mais ce qui m'intriguait un peu plus, c'était cet alter "dangereux" dont il parlait. Il me traita d'abord comme un simple civil -mineur de surcroît, je n'en doutais pas-, mais il ne tarda pas à se raviser au vu de la situation. Après un regard attentif, il me posa alors la question fatidique. Je baillai comme à mon habitude et je hochai de la tête.

-C'est cela, et je ne suis pas un gamin.

Cependant je m'étais trompé sur une chose. Il n'avait pas encore pris le temps d'examiner la situation. Et lorsqu'il le fit, me surprenant par ses réflexions à voix haute, il se retourna vers moi pour me secouer par les épaules, me pressant pour qu'on agisse. Je le regardai avec de grands yeux. Il était plus qu'excité, il était à vrai dire un poil excentrique. Une fois qu'il m'eut lâché, je reculai discrètement pour prendre mes distances avec Baka. Quant à sa collaboration, elle était à vrai dire assez rudimentaire. Foncer dans le tas et tout défoncer ? Je soupirai. Mais il semblerait que nous n'avions pas beaucoup d'autre choix. La police risquait d'arriver bientôt et cela pourrait devenir bien plus compliqué. Ainsi que le temps qu'ils arrivent. Ils venaient de lancer l'alerte à la radio. Il fallait qu'on se dépêche. Il me demanda alors mon surnom de héro, et en me dirigeant vers l'épicerie avec lui, je répondis de manière à lui donner un maximum d'information.

-Sylphe. Mon alter est lié au vent. Et toi, quel est ton alter ?

Nous nous dirigeâmes donc par la suite vers l'épicerie et nous rentrâmes en même temps dans le magasin. Aussitôt fait, le mec cagoulé pointa son flingue sur nous.

-Ne bougez plus où je vous tire dessus ! J'ai un otage !

Je fronçai les sourcils. Bien que sa posture se voulait assuré et calme, sa voix quant à elle avec une intonation étrange. Qui plus est, le réflexe de pointer son arme vers nous plutôt que vers son otage qui était son seul vrai point de pression, était un poil étrange. Après tout, nous étions deux, et il ne connaissait pas nos capacités. Le temps qu'il tire sur l'un d'entre nous, l'autre aurait certainement le temps de faire quelque chose. Éventuellement. Ou alors il misait sur notre peur de mourir pour qu'on s'arrête là ? Peut-être. Je haussai les mains, en bon citoyen, et ne bougeai pas comme il l'avait indiqué. Cependant, j'ouvris ma bouche pour m'adresser au braqueur, en tentant de réconforter du regard l'otage qui était recroquevillé sur lui-même.

-Et si vous relâchiez l'otage, et que vous nous disiez ce que vous voulez...? On pourrait peut-être vous aider ?

Son attitude, ainsi que le fait qu'il soit encore là alors qu'il aurait eu le temps de braquer l'épicerie et partir avant l'arrivée des policiers était étrange. Mais il avait peut-être lui-même paniqué. Ou peut-être il y avait-il une autre explication ?

Lorsque mon compagnon du jour me répondit qu'il possédait un alter qui lui permettait de rouiller tout ce qui était fait de métal, je le regardai d'un air agréablement surpris. Je connaissais un autre héro en herbe qui avait la capacité de contrôler le métal. Ce qui n'était à la fois pas du tout pareil, et d'un autre côté assez ressemblant. Je ne pus m'empêcher d'arborer un petit sourire. Le monde dans lequel nous vivions à présent, rempli d'alter, était devenu assez étrange. Toutefois très marrant. Tout comme mon compagnon d'infortune du jour qui se retrouva plaqué contre la vitre du magasin suite à un mauvais pas sur le trottoir. Je haussai un sourcil et je ne pus m'empêcher de me demander si c'était finalement une bonne idée que de se rendre dans ce magasin. La maladresse pouvait grandement desservir la vie de l'otage que nous nous apprêtions à sauver. Cependant, je m'abstins de toute remarque. Et comme je m'y était attendu, ma tentative de négociation échoua lamentablement lorsque je proposai à l'homme masqué de laisser partir l'otage. A la place, il nous invita à gentiment rejoindre l'otage qui était au sol pour qu'on y patiente à notre tour.

Ce qui tombait bien, nous pourrions ainsi nous enquérir de l'état de notre victime collatéral. Baka s'assit, et ouvrit des chips qu'il me proposa et que je déclinai d'un geste de la tête accompagné d'un geste de la main. Je me tournai alors vers l'otage qui tremblait littéralement sur place, à la limite du sanglot. Son regard était fuyant, évitant de regarder autour de lui, comme si faire abstraction du monde extérieur pourrait lui permettre de rester en vie. Je n'étais pas sûr que c'était une stratégie qui fonctionnait, mais avec notre braqueur de ce jour, il pouvait avoir une chance de s'en sortir. Ce dernier, en entendant les sirènes de la police, semblait presque jubilé de pouvoir entrer dans la légende. Un mégalomane ? Bien entendu. Pourquoi pas, après tout. Mais ce n'était pas en braquant une épicerie qu'il allait se faire un nom. M'enfin, je n'allais certainement pas lui gâcher le plaisir. Alors que Baka me demandait de faire diversion, j'acquiesçai tout en me tournant vers l'otage d'abord pour m'enquérir de son état.

-Monsieur, vous êtes blessés ?

Il sursauta face à ma question. Il ne s'attendait certainement pas à ce que je lui parle. Et d'un geste lent et saccadé de la tête, il me fit comprendre qu'il n'était pas blessé. J'acquiesçai.

-Tenez-vous prêt, ça va bouger.

Le braqueur qui commençait à s'exciter un peu se retourna vers nous, l'air d'un côté excité, ne semblait pas se préoccuper de nous plus que cela. Je me retournai vers l'homme armé, et me relevai avec un air un peu hagard sur le visage.

-Monsieur, je pense que je vais...a-a-A...

-Rassieds-toi ou je te t...

Et alors que je m'apprêtais à faire mon petit show, je glissai un petit clin d'oeil au héro en kimono rose. J'espérais qu'il allait comprendre le signal silencieux

-ATCHOUM !

Et en faisant mine d'éternuer, j'activai mon alter et j'expulsai une violente rafale de vent à l'image de mon éternuement. Une violente rafale de vent qui vint bousculer et faire trébucher l'homme armé. Puis tout de suite après, je laissai faire Baka, et tirai sans ménagement l'otage pour l'éloigner de l'homme armé et le mettre à couvert derrière les étagères tout en nous rapprochant de la sortie. Suite à cela, je retournerai aider le dénommé Baka en espérant qu'il ait pu s'occuper du fusil de l'homme armé. Les policiers n'allaient pas tarder à arriver, et il fallait si possible qu'on termine avant qu'ils n'entrent en action. Les tirs croisés pouvaient s'avérer dévastateurs.

Lorsque j'éternuai, je vis que mon acolyte du jour avait prit quelques temps pour réagir. Mais je n'avais pas le temps de lui faire plus de signes. J'avais un otage à mettre à l'abri. Heureusement que notre braqueur n'avait pas posé trop de questions et nous avait mis directement aux côtés de l'otage. Il nous avait ainsi grandement facilité la tâche. Je tirai donc le jeune homme totalement effrayé dans un coin du magasin abrité par les différentes étagères de l'épicerie. Lorsque nous entendîmes le cri de guerre de Baka, le civil sursauta sous l'effet de la surprise. Il semblait tout juste commencer à comprendre ce qui se passait, et relevait à peine la tête lorsqu'un coup de feu retentit. Immédiatement, nous nous accroupîmes à nouveau et je me rapprochai de lui, m'attendant à d'autres coups de feu. Mais soudain plus rien. Ou plutôt, il aurait fallu tendre l'oreille pour percevoir les bruits de lutte. Ce qui voulait dire que Baka était toujours vivant. Je me retournai vers l'otage et lui sourit d'un air rassurant, bien que las.

-Tout ira bien, Mr. Vous allez bientôt pouvoir sortir de là.

Après ces quelques mots, je glissai ma tête entre les étagères pour pouvoir apercevoir la scène qui était en train de se profiler. Lorsque j'avisai le tout, le braqueur qui criait quelques minutes plus tôt à la gloire et à la légende était à présent entrain de prendre ses jambes à son cou. Il n'avait plus l'air si amusé par le fait de devenir une légende. Baka lui balança alors ce qui ressemblait plus ou moins à un fusil, ou du moins ce qu'il en restait après l'usage de son alter. Puis il enchaîna avec un puissant coup de genou dans le dos du fuyard qui s'écroula sous la puissance du coup. Sacré puissance. Cela n'était pas étonnant étant donné sa musculature. Et cela était tout aussi bien, car son alter semblait à vrai dire plutôt axé sur la défense et le support plutôt que l'offensive. Une fois le boulot fini, il se retourna alors vers moi avec le pouce en l'air, et d'un sourire amusé je hochai de la tête.

-Je te retourne le compliment, ça aurait été impossible sans toi aussi.

Suite à cela, il était temps de prendre la tangente. La police n'était pas exactement friande des actes héroïques. Et même si nous n'avions fait que peu ou pas de dégâts, ils pouvaient toujours trouvé un moyen de nous retenir inutilement. Jusqu'à ce que les choses se tassent un peu, il vallait mieux faire profil bas. Je me retournai vers l'otage, et en baillant de flemme, je lui fis un signe pour lui signifier que nous partions. Il hocha de la tête, toujours traumatisé, et balbutia un remeriement presque fiévreux au vu de son état. Mais alors que je me retournais pour y aller, il m'interpella.

-Monsieur ! C'est quoi vos noms ?

Sa voix restait un peu tremblante, mais il commençait à arborer un sourire. Un sourire las s'afficha sur mon visage, bien que sincère.

-Baka pour le musclé au kimono rose, et moi c'est Sylphe.

Suite à cela, je fonçai vers l'arrière boutique. Les sirènes étaient terriblement proches, et bientôt les voitures de police allaient entourer ce lieu. D'un coup de vent, je me propulsai vers Baka, et alors qu'il était temps de nous séparer, je lui adressai ces derniers mots.

-Au plaisir de retravailler avec toi, Baka.

Puis je laissai les courants de vent m'emporter vers le ciel.