Résurrection

Feather. Nouvelle identité, nouvelle vie. Ces changements majeurs, qui s’accompagnent de modifications incessantes, surprenantes, auxquels l’héroïne a encore du mal à se faire. Une plume. Ça n’a l’air de rien, dit comme ça. Faible, fragile, gracile. Peut-être que c’est ce qu’elle est, non ? Une femme élastique. Sensible au froid, sensible à la chaleur, sensible à toutes ces choses qu’un autre être supporte simplement. Alors, peut-être que Feather, c’est l’acceptation de cette faiblesse face au monde.

Ses doigts descendent le long de la vitre. Des traces longilignes suivent les mouvements, apparaissent sur le carreau. La chaleur ambiante tranche avec le froid extérieur. Feather soupire. Son identité ne tient pas qu’à ça. Ce n’est pas un aveu de sa faiblesse, non. C’est la concrétisation d’une liberté nouvelle, impalpable, qui s’accomplit enfin, sous la forme d’un nouveau nom. Claire s’efface au profit de Feather. Elle existe, là, tapie dans l’ombre de l’héroïne qui naît, qui s’épanouit. Un esprit libre. Une créature émancipée de toutes ses obligations, qui quitte le nid familial pour écrire sa propre histoire. Voler dans le ciel à son rythme, à sa manière. Claire soupire.

Oui, Feather, c’est surtout ça. Un être libéré de ses chaînes. Un sourire étire ses lèvres. C’est exactement ce qu’elle voulait, au fond. Vivre libre. Vivre loin des obligations familiales. Ne plus être une Hendler comme les autres, dont le sang est marqué par la nécessité de reprendre l’entreprise. Le nom frappé par le symbole du Dollar, qui évolue au fil de son profit et ne peut grandir que par lui, pour lui. Feather, c’est l’émancipation. La fin d’une appartenance à une lignée riche, certes, mais cupide.

Feather, c’est la résurrection. Mais toute résurrection passe par la mort. Et il est temps d’orchestrer tout ça.

Claire se redresse vivement. D’un pas décidé, elle se dirige vers son manteau, puis la sortie. Après avoir fait quelques recherches, elle s’est intéressée à Maja Stolardsky, professeure de cyberdéfense à l’université. Cette femme doit avoir une solution pour remédier au problème de la blonde. Ce n’est pas une certitude, mais elle a le sentiment que si elle n’essaye pas, elle passera à côté de quelque chose de gigantesque. Autant se jeter à l’eau, ça ne lui coûte rien.

La neige s’enfonce sous le poids de ses bottes dans un bruit que les enfants adorent. Une sorte de crom, crom mélodieux qui accompagne chacun de ses pas. Guillerette, Claire oublie presque le motif de sa balade, qui est on ne peut plus sérieux. C’est quand l’université apparaît sous ses yeux, se découpe sur le décor, qu’elle réalise à quel point cette entreprise est grande, à quel point cela risque de lui prendre du temps. Soupir. Elle serre le poing. Trop tard pour reculer.

La blonde s’enfonce un peu plus, traverse l’université jusqu’à arriver dans la salle qu’on lui a indiquée, à l’accueil. Elle toque doucement. Un mouvement timide, entravé par une nervosité naissante. Un instant d’arrêt. Cette femme est belle. Il y a quelque chose en elle qui fait hésiter Claire. Tout s’emmêle. Va-t-il falloir tout lui raconter ? Pour de vrai ? Faire confiance à une inconnue, malgré toutes ses compétences et son apparence charmeuse, c’est compliqué, non ? Dangereux. Stupide. Un peu de tout ça à la fois. Elle déglutit. Elle n’a pas le choix, de toute façon.

« Maja Stolardsky ? Je m’appelle Claire. Claire Hendler. Je ne voudrais pas paraître intrusive, mais je pense que vous êtes la seule à pouvoir m’aider. »

Solennelle. Sa voix tremble, entre le stress et l’émotion. Toute résurrection passe par la mort … Maja l’aidera-t-elle à mourir ?

Spoiler:

Dans l’une des salles de la prestigieuse université de Millenium city, Maja, la femme à la double identité, était en train de préparer ses cours, son pc portable posé le coin du long bureau, le grand écran qui lui servait d’appui derrière elle. Malgré sa double identité, cette donnait beaucoup d’importance à ce travail qui lui servait de couverture.

Plus elle y accordait d’importance, et plus elle paraissait crédible, si jamais son CV n’était pas suffisant. Plus qu’une couverture cet emploi dans « l’éducation » lui apportait un salaire, de l’argent de poche en quelques sortes, et elle pouvait compter sur son activité de consultante ; aussi. Bref, sans être une célébrité, elle était connue pour ses « talents » dans le domaine informatique.

Elle leva la tête lorsqu’une jeune femme entra dans la grande salle de cours. Elle lut l’heure sur sa montre mécanique et écouta cette étudiante un peu –trop- en avance. L’aider ? Rares étaient les étudiants venant demander de l’aide, et la polonaise n’était pas ce genre de professeure dévouée à la réussite de ses étudiants. Elle leur délivrait un savoir, une expertise ; répondait bien sûr aux questions, mais son investissement ne dépassait pas ce cadre.

-C’est moi. Si vous avez besoin d’aide, attendez la fin du cours, dans quatre heures. Je ne suis pas payée en dehors de ces horaires. Avait-elle répondu à la dénommée Claire Hendler avec un léger accent des pays de l’Est Européen, sans montrer pour autant une quelconque once d’agacement. Pour elle il était normal qu’alors qu’elle n’était pas payée, elle n’ait pas à travailler. Et qu’une étudiante lui demande de l’aide, cela ressemblait à du travail de professeur. Puis, de nouveau elle releva la tête et l’observa. Vous n’êtes pas dans ma promotion. Qui est votre professeur référent ?

La « professeur » trouva ce détail intéressant, que pouvait bien vouloir lui demander une étudiante qui n’assistait pas à ses cours ?

Résurrection

Maja Stolardsky. Claire ne s’est pas trompée en venant jusqu’ici. Ses pas l’ont bien menée face à l’objet de ses recherches. Une plantureuse professeure, placée ici pour transmettre son savoir. Une femme directe, qui ne travaille pas si elle n’est pas payée. Un sourire sur les lèvres de la blonde, suivi d’un petit soupir. Quatre heures, hein ? Un cours de cette longueur, ce n’est pas commun. Ça doit être barbant, aussi. Elle hausse les épaules. Deux solutions se frayent un chemin dans son esprit : suivre le cours, ou la payer. L’argent est son moteur, non ? Alors autant lui en donner.

Claire s’apprête à suivre cette voie lorsque Maja la relance, cette fois avec une question. La femme élastique hausse les épaules. La mimique sur son visage s’affirme, mue par un amusement qu’elle ne pourrait dissimuler. Elle fait quelques pas en direction de la Stolardsky, avant de s’immobiliser. Ses bras croisés sur sa poitrine, Claire observe la professeure un instant. Son accent lui indique qu’elle vient d’un pays de l’est. Polonaise, peut-être ? Les intonations guident l’auteur dans cette direction, mais elle ne s’en soucie pas plus que ça. Pas pour le moment, du moins. Parce qu’il faut l’avouer : cette information pourrait s’avérer très utile dans un futur plus ou moins proche. Elle penche la tête.

« Je ne suis dans aucune promotion, à vrai dire. Je ne suis pas étudiante ici. »

Ses bras reviennent le long de ses hanches, alors qu’elle déambule un peu plus jusqu’à Maja. Les deux femmes se trouvent désormais uniquement séparées par le bureau derrière lequel se trouve la professeure. Claire laisse ses doigts danser sur le bois. Elle est directement dans la diagonale de la jeune femme, une position idéale pour aventurer ses iris à l’assaut de la Stolardsky. Son sourire devient mutin.

« Votre accent m’indique que vous n’êtes pas d’Amérique, donc je ne suis pas surprise que mon nom vous laisse indifférente. Voyez-vous, la famille Hendler est une sorte de colosse de la finance, dans ce pays. »

Nouvel haussement d’épaules. Un mouvement auquel Claire commence à un peu trop s’habituer. Un voile sombre passe dans son regard, dissipe tout l’amusement qui aurait pu se trouver sur son visage. Le sérieux prend place, petit à petit.

« Je n’ai pas besoin que vous me donniez un cours, pour être honnête. J’ai besoin de quelque chose de plus radical. »

Une pause. Le sourire s’efface.

« Vous êtes professeure de cyberdéfense, j’imagine donc que vous savez comment faire disparaître quelque chose d’internet. Ou au moins le mettre en sécurité. »

Le déroulement logique des choses, non ? Claire inspire longuement. Ses prunelles viennent se greffer à celles de Maja.

« Si l’argent est votre moteur, ce n’est pas un problème. Mais j’ai besoin de savoir si vous êtes d’accord pour réaliser ce que je m’apprête à vous demander, ou non. Nous ne négocierons le reste que lorsque je serai certaine que je peux vous faire confiance. »

Les lèvres de Claire s’étirent une nouvelle fois, dans un sourire en coin cette fois-ci. Elle croirait entendre sa mère, au cours de longues conversations compliquées et inutiles pour gagner un autre client. Si elle avait su que ses pas suivraient ceux de ce fantôme, la blonde aurait bien ri.

« Cela vous semble-t-il honnête, Professeure Stolardsky ? »

Mais au fond, quelle que soit la direction prise par ses pieds, le principal est d’arriver au point désiré. Il faut mourir aujourd’hui, pour renaître demain. Un long et fastidieux procédé qui aboutira ou n’aboutira pas à compter de maintenant. Quitte ou double, encore, toujours.

C’était une première pour Maja, qu’une personne, une cliente ; vienne démarcher ses services directement dans sa classe, à l’université. Habituellement ceux qui avaient besoin de ses connaissances en matière informatique passaient directement par le téléphone, après tout… on pouvait trouver son numéro professionnel assez facilement.

La brune écouta la descendante Hendler formuler sa demande. Des familles riches… il y en avait un peu partout, et ce n’était pas par méconnaissance des « grands » de cette nation que l’experte n’avait pas réagis, mais parce que ces familles, ou groupes ; étaient souvent très puissants. Le genre de cible qu’elle se refusait d’attaquer, seule tout au moins.

Aussi étendues pouvaient être ses compétences et son talent dans la manipulation des données, elles ne lui permettaient pas de rivaliser avec les milliards de dollars que pouvaient mettre en œuvre ces puissants ; et encore moins s’ils cherchaient à retrouver son identité en cas de piratage.

-Je vois. Vous me demandez de vous faire confiance avant même de m’expliquer ce que vous voulez. Ce n’est pas comme ça que je fonctionne. Répondit-elle, feignant de n’avoir aucune idée d’à qui elle s’adressait. En tant que professeure et consultante, elle ne pouvait pas se permettre d’agir comme la mercenaire qu’elle était dans l’ombre. Éveiller le moins de soupçons possible quant à son implication dans le cryptogang était un point d’honneur qu’elle s’efforçait de respecter. Faire disparaître, modifier ou manipuler des données est illégal, je risquerai de perdre ma place ici, et de finir en prison. Avait-elle repris en fixant la jeune femme ; elle s’était arrêtée de pianoter sur son clavier.

Elle soupira légèrement en pensant à cette demande incongrue. Venir demander une telle chose, en personne ; montrant qu’elle connaissait son identité sans se priver de dévoiler la sienne –qui devait être connue d’un bon nombre de personne déjà- était extrêmement risqué pour Maja.

Elle savait que la confiance était plus une idéologie qu’un réel principe dans ce monde, et encore plus aux Etats-unis où les uns et les autres n’hésitaient pas à se servir de cette « confiance » pour planter profondément un poignard dans le dos de leurs amis les plus crédules. Oui, Maja avait une vision particulière de la société.

-Dites-moi ce que vous voulez, et convainquez-moi. Si je ne devais m’appuyer que sur votre parole… il me faudra une réelle garantie, Mademoiselle Hendler. Ajouta-t-elle en fixant la jeune « Hendler », le regard aussi suspicieux qu’intense.

L'illégalité ne dérangeait pas Maja en réalité, et heureusement. Elle avait fait bien pire au cours de ces dernières années, que ce soit au service du cryptogang ou de groupes et d'entreprises ayant pignon sur rue. Mais son identité avait toujours été préservée, et elle avait toujours eu un levier pour se défendre si, notamment ses employeurs "légaux" s'étaient amusés à la menacer.

Plus que de la cyberdéfense, Maja était une experte en matière de blackmailing. Mais lui fallait il encore disposer des bonnes informations. Et là, quant à cette Claire; elle n'était pas sûr de trouver quoi que ce soit de suffisamment compromettant... Qu'elle lui demande de lui faire confiance ainsi... Sa confiance était une chose... dont n'importe qui ne pouvait pas profiter.