7.00 am, l'avant-veille de l'an 2040

Cette nuit, Isaac s'était réveillé dans un sursaut. Pour seul réveil : une alarme négative, ultime note de désolation. Dans sa chambre, la lumière rouge et cauchemardesque d'un des LED de son moniteur continuait à chasser les ténèbres qui régnaient en maître sur toute la pièce. Que se passait-il ? Était-ce un mouvement de panique, une perte d'argent mémorable ? A cette pensée, l'esprit de l'Entrepreneur ne fit qu'un tour pour en venir à la conclusion que, même à demi-réveillé, il s'agissait encore "d'elle". Oui..."Elle".

U...Lu...Ulu....Ululu

Depuis quelques jours, Cassandre roucoulait une bien étrange chanson dans son bureau. Ce n'était pas une tonalité très agréable à entendre, bien au contraire : c'était un hululement rauque, sinistre et mélancolique. Le genre de tonalité qui agressait les oreilles avec d'autant plus de sadisme que le cri d'une demoiselle en détresse. Avec difficulté, l'Altéré se redressa, frotta ses yeux devenus secs avec la fatigue. Tout bas, il gardait l'espoir de se soustraire de cet odieux mal de crâne qui menaçait de le clouer au lit pendant deux bonnes journées. Pour cette année, son "Ange Gardien" -ainsi que son Gagne-Pain- prédisait à la fois le meilleur et le pire dans un autre monde, parallèle au nôtre ; un monde fait de chiffres, un univers impersonnel où le bonheur des uns faisait le malheur des autres. Ce visionnaire aurait certainement désiré vous rassurer, vous conforter que votre environnement ne basculerait jamais, mais ça aurait été vous mentir. Ses prédictions n'auraient bientôt plus leurs places dans ce monde et, pour la première fois de la matinée, un sourire béat étira les lèvres de l'Entrepreneur.

Oh, de quoi motiver davantage ses recherches !

A la veille de l'An 2040

Dans la vie, il fallait parfois se torturer les méninges pour ne serait-ce qu'effleurer le sentiment d'entraîner ses réflexions et ce, dans des jeux tout aussi hasardeux que truqués. Ce fut ainsi qu'une fois qu'il eut revêtu son costard -une pièce de choix que Gierna lui avait choisi avec tout autant de goût-, le jeune homme avait traîné sa carcasse vers le Casino. Une fois arrivée, l'ironie eut voulu que Glass Master arriva tout d'abord face aux grandes vitres du monument. Des secondes d'attente, avant de s'y glisser. Derrière lui, le jeune homme avait alors senti la brise d'une porte coulissante se refermant comme les mâchoires d'un crocodile, dangereuses, insidieuses en tout point. Tout autour de lui, régnait l'inhabituel. Un quelque chose d'étranger. Ce n'était pas la partie du Casino qu'il préférait, mais cela n'en restait pas moins une salle de jeux où il faisait bon de s'y présenter. Ici, on pouvait croiser quelques têtes toutes aussi amoureuses des négociations que sa petite personne. Des grands, des fins, des forts, et des femmes. Les mains dans les poches, sa silhouette s'avançait paresseusement. Sans grande formalité, il salua pourtant respectueusement les personnes qu'il croisait, puis s'arrêta devant une table verte où une jolie croupière attendait patiemment la venue d'un joueur pour initier le jeu.

"Hm, il semblerait que ça soit le rital du coin qui veuille se joindre à nous !"

Cette exclamation fit naître une lumière de défi dans le regard de l'entrepreneur. Kiyotaka gagnait toujours dans les parties de Texas Hold'em. Il était le roi de cette table : pas infaillible, mais souvent victorieux. A deux joueurs sur cette table, un heads-up était de mise. Les jetons pariés semblaient changer de camp, mais pas en bon. Dans la salle, on avait crié que le jeune Castelo faisait parfois des mises ou stupides, ou suicidaires. Tâtant le terrain, il perdait ses jetons à toute vitesse, comme à son habitude. Pour autant, c'était la réputation de ce Castelo dans ce casino : une manière informelle de jouer aux jeux, et un goût relatif pour les défaites stupides ou les victoires les plus écrasantes qui soient.

"Il n'y a aucun moyen que tu gagnes ce pari. Je veux dire, c'est une question de chance, mais Kiyotaka gagne toujours... Et puis, regarde tes jetons. Et en plus t'as parié de céder ta prochaine création...Arrête là peut-être. C'est un massacre...
- Si tu veux, mais ce n'est pas le principe du jeu. Ce serait bête de terminer maintenant...Non ?"

Les minutes s'écoulèrent alors à toute vitesse, et avec elles, une somme d'argent pour le moins monstrueuse. Mais les tables s'étaient inversées et les mises avaient soudainement changé de camp. Le jeu sembla s'accélérer, et lorsque le regard du Tigre japonais rencontrèrent ceux froids et malins du Négociateur de la famille Castelo, il sut que ce dernier lisait en lui comme dans un livre ouvert...Et ce, jusqu'aux dernières cartes. L'instant d'après, quelques soupirs murmurés se soulevèrent tout autour de lui. Isaac avait gagné.

"Bien, vous avez perdu. Je vous laisse régler la somme avec d'autres hommes pour empocher le montant du pari d'ici quelques minutes... Soit, une somme relativement importante, contrairement à mes attentes. Mais bon, je ne crache pas dessus ! Ca a été un honneur. "

Mutin, Isaac clapa des mains, faisant sonner la fin de cette partie et, par la même occasion, crisser des dents son adversaire qui n'était plus que la proie d'une colère sourde. Cette somme, il la perdrait d'ici quelques jours d'une façon totalement stupide et cela, Kiyotaka ne pouvait le tolérer sans faire éclater les révélations au grand jour.

"- ...Je peux savoir comment une petite merde comme toi a pu deviner mon jeu et comment... ?
- Oh, eh bien...Disons que vous avez des tics bien prononcés dans vos jeux, une fois passé le premier cap des bluffs....Mais aussi, une certaine logique dans votre manière de procéder, puisque vous jouez de manière agressive en misant et en relançant souvent avec une main moindre dans presque tous les cas. Du coup...C'est vrai que j'ai perdu toutes les premières manches, mais je crois bien les avoir rééquilibrer maintenant que vous n'avez plus de jetons! Je ne pensais pas qu'en sortant de votre zone de confort et de toute cette agressivité, tu miserais autant contre ma petite personne, d'autant que je n'avais pas de combinaisons siiiii bonnes que ça. Mais pour le coup, tu voulais certainement m'aplatir. Appelons ça un coup de chance de ladite "petite merde". Yep, j'aime beaucoup ta façon d'oser et de penser ! On remet ça quand tu veux !"

La prochaine fois, peut-être que la Chance ne lui sourirait pas avec autant de grâce, mais Isaac ne semblait pas s'en inquiéter outre mesure. La dose d'adrénaline que lui procurait chaque partie de cartes faisait frémir ses attentes pécuniaires, oscillant entre pertes colossales et gains magistraux. Tout en ajustant sa cravate, ses prunelles ne purent que fixer la dégaine d'un homme particulièrement nonchalant, presque vil d'apparence, se détacher du lot vers la machine à jetons. Un homme de la police connu de sa famille, qu'il avait eu l'occasion d'entrevoir par le passé, quand il accompagnait son oncle... Que faisait-il ici ? Bien qu'Isaac prit le temps d'adresser quelques salutations vers quelques connaissances, il enjamba sans timidité la distance qui les séparait. Mimant les gestes de l'invité, il s'approcha d'une cabine voisine et échangea quelques jetons ; une somme dérisoire pour la formalité. Doucement, sa voix s'éleva et initia le ton de leur échange.

"Eh bien. Si ce n'est pas une journée divertissante, j'ignore ce que c'est. C'est comme...Voir une volaille parmi les addicts du jeu. Ca fait un moment qu'on ne vous a pas vu par ici. Dîtes-moi, la chance vous a-t-elle souris jusque-là ? "

Au loin, une charmante créature continuait à lancer dans leur direction quelques regards inquiets...Nul doute, le Lieutenant avait déjà commencé à divertir ses sens comme ses yeux...

"Je vois que oui. Martina est nouvelle ici mais ne la taquinez pas trop, elle a la rougeur facile... Oh, veuillez m'excuser, je me sens d'humeur joueuse, pour une fois. Isaac Castelo, enchanté.", fit-il avec un air incroyablement sympathique.

Pour autant, cet homme ne feintait rien en réalité. Il avait juste naturellement cet aura amicale qui inspirait la confiance et l'humilité. Et, du coin de l'oeil, ce même Ainé continuait à observer la silhouette dépitée du King japonais qui, visiblement, ne comptait pas rester sur sa dernière défaite.